C'est presque un lieu commun que de déclarer que le Rituel du Grade de Rose-Croix est « christique ». Ceci s'applique plus particulièrement à la Cène Mystique, dans laquelle certains de nos Frères voient une copie de la communion chrétienne. Ils s'en distancient pour éviter de se livrer à un rite trop proche, à leurs yeux, d'une religion instituée, et par conséquent trop particulariste. On peut les comprendre. Ces quelques lignes ont pour objet de replacer les choses dans une perspective historique et de susciter vos réflexions, sans vouloir nécessairement solliciter votre adhésion.
Il est établi que la pratique rituelle du repas en commun de pain et de vin est bien antérieure au christianisme. Elle remonte à l'Orient historique et aux cultes à mystères de l'antiquité préchrétienne qui sont issus de cette région géographique.
Dans le culte d'Attis, l'initié, après avoir consommé de la pâte de blé dans le tympanon (qui était une sorte de coupe) et bu dans une cymbale du vin mêlé d'eau, disait : « Je suis devenu fils spirituel d'Attis »... Dans la religion de Zoroastre, les textes sacrés précisaient: « Qui ne mangera pas le corps du Dieu et ne boira pas son sang de manière qu'il se mélange à lui, celui-là n'aura pas le salut »... Dans le culte de Mithra existait un sacrement au cours duquel l'initié recevait du pain et le contenu d'une coupe de vin mêlée d'eau.
Il apparaît donc que le christianisme a emprunté aux cultes à mystères une institution qui remontait fort loin dans le temps, puisqu'elle était connue de Zoroastre et qu'elle figurait aussi dans l'antique culte égyptien d'Osiris, où le prêtre, en consacrant le contenu de la coupe, prononçait la formule sacramentelle : « Tu es du vin et tu n'es pas du vin, mais les entrailles d'Osiris ».
On voit donc l'importance immémoriale de cet antique Rituel de l'humanité, qui s'est diversifié avec le temps dans une multitude de rites et de cultes, dont le culte chrétien.
En ce qui concerne notre Ordre, on peut admettre que les mystères antiques ont sans doute subsisté en secret après le triomphe du christianisme, alors que l'ésotérisme hébraïque suivait, quant à lui, sa propre voie, celle de la Kabbale (que nous retrouvons aux 13e et 14e Grades). Et c’est lors du choc culturel des croisades que ces deux courants se sont mêlés, au sein des Ordres chevaleresques installés en Palestine, avec les antiques traditions ésotériques de la Terre de Canaan. Cette thèse fut du reste défendue dès 1737 par le Chevalier de Ramsay dans deux discours célèbres dans l'histoire de notre Ordre.
Quant au mouvement de synthèse de la Franc-Maçonnerie, il s'est probablement poursuivi durant la fin du Moyen Age, s'est affirmé en 1717. Il s'est amplifié durant tout le XVllle siècle et durant la première moitié du XIXe. En passant, il a intégré au cours des siècles, des concepts ésotériques touchants aussi bien l’alchimie, la magie, ou la kabbale et, enfin, sous l'influence des Rose+Croix du XVlle siècle, une partie importante du rituel du 18e degré, dont celui de la Cène Mystique...
Cène Mystique, dont la pratique remonte à plusieurs millénaires et que nous répétons dans le souvenir de tous ceux qui l'ont pratiquée avant nous, dans des langues, des cultes, sous des cieux et au sein de peuples divers. Cette chaîne d'Union spirituelle et physique de la Cène Mystique nous ancre dans notre fraternité universelle à travers le temps et l'espace. Elle nous permet, comme le dit notre Rituel, « de cimenter davantage les liens qui nous unissent et de nous aimer mieux ».
Le F.·. Ch.·. JMC